Imaginaire...

L'imaginaire social à la dérive.

Aujourd'hui, dans leurs accomplissements pratiques, à partir des situations particulières rencontrées, les acteurs du social lient quasi exclusivement leurs représentations à des procès linéaires, marques des aménageurs et organisateurs. Il n'en manque pas pour proposer audits et expertises aux décideurs politiques et chefs d'entreprise mystifiés d'abord par leur propre incurie. Ceux-ci ne visent qu'à faire passer le social dans la catégorie des espaces de l'aménagement, survalorisant les types ou modèles de l'ingénieur (type l'ingénierie sociale, le « coaching », les « démarches qualité » et le management des projets comme nouvelle panacées!) et de l'architecte (le projet dissocié de son exécution). Ceci se trouve aux antipodes de toute reconnaissance de la puissance sociétale, où l'archaïque est, le plus souvent, convoqué au service d'une tentative de moralisation d'une modernité dont le sens tend à s'épuiser en même temps qu'il épuise les populations. Pour le sociologue, la prise en compte de cette dichotomie débouche nécessairement sur le paradoxal dans la nécessité de combiner entre eux les savoirs humains pour penser le social et l'économique. Pour l'anthropologue, il s'agit de reconsidérer la durée.

Singulièrement, nos sociétés répugnent à se doter d'outils pour penser le social quand le rationalisme critique évacue l'irrationnel assimilé au déraisonnable, quand ce que Jean-Marie Brohm et Louis-Vincent Thomas appellent "le gigantesque continent de l'irrationalité, de l'imaginaire, du fantasme, du surnaturel, du mythique, voire du mystique" (1991), est négligé du haut de nos échelles préfabriquées, quand nombre de réalités sensibles, difficiles, sont si ce n'est diffamées, quand nous sommes devenus aveugles aux phénomènes les plus violents en leur radicalité (i.e. leurs racines) alors Que nos discours les invoquent sans parvenir à les révoquer.

Et l'on se souvient que Louis-Vincent Thomas nous invitait, pour y parvenir, à côtoyer les états intermédiaires, les zones ambivalentes, les processus obscurs, les limites incertaines, les frontières mobiles, les mondes lointains, l'Ailleurs, l'Autre, voire le Tout Autre, à penser l'impensable...

Plus la crise est profonde, plus il faudra chercher son noeud originel, dans le caché, l'occulte. Au coeur du dispositif de régulation sociale que les approches positives ne font que décrire, la société accoucherait alors d'un nouvel imaginaire social. La référence au mythe est, là, nous semble t-il, prépondérante dans la mesure où la question de l'actualisation mythique est sans doute ce qui peut encore lui donner une force politique. Le politique, à l'époque post-moderne, s'il prend conscience de la désacralisation du monde, serait alors à nouveau un des lieux de l'expérience du sacré dans nos sociétés, de la reliance de l'être ensemble, comme certains indices semblent nous amener à le percevoir.

Nous devrons, en revanche, ce sera le prix à payer, renoncer à ce qui fut un donné constant de la pensée occidentale: la séparation qui a dichotomisé à l'infini le donné mondain (culture-nature, corps-esprit, esprit-matière).

Gilbert Durand, faisant la synthèse, en les reprenant, des propositions de Bachelard qu'il confronte aux apports de la psychanalyse, du structuralisme et de philosophes comme Kant ou Cassirer[1], a ouvert les voies d'une réflexion sur l'Imaginaire qu'il présentait comme un dynamisme équilibrant entre plusieurs réseaux de forces antagonistes que nous développerons ici après avoir passé en revue plusieurs autres approches préalables ou concomitantes.

C'est à lui que nous devons la notion de " trajet: anthropologique " les forces de l'imaginaire dans leur confrontation à la réalité sociale, pour accéder au statut de symbole, pour mieux interpréter la vie sociale.

Cornélius Castoriadis, pour sa part, lisait le mythe en tant que réservoir de significations (l'imaginaire social) proposant à l'émergence de la vie sociale, à son jaillissement, et le confrontait aux contraintes rationnelles-réelles de l'organisation, de la technostructure.

D'un point de vue épistémologique et donc désormais pratique, l'imaginaire nous oblige à reconsidérer nos catégories. Il est ce que Jean-Marie Brohm et Louis-Vincent Thomas ont appelé une transversalité, soit " interrogation permanente et questionnement infini...refus des cloisonnements des disciplines, des champs, des objets, des méthodes, l'attention accordée aux totalités mouvantes (Garfinkel), aux praxis-processus (Sartre), aux mondes cachés (Bachelard), la compréhension de l'unité signifiante de tout fait social qui est prioritairement une donnée existentielle avec ses finalités, ses enjeux anthropologiques, ses conflits [2]."

Instruire le procès de l'attitude matérialiste

D'où la nécessité où nous sommes, avec André Breton, d'instruire le procès de l'attitude "réaliste après le procès de l'attitude matérialiste (...) ayant pris conscience du fait que, sous couvert de civilisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir tout ce qui peut se taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère, à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n'est pas conforme à l'usage" (1983). Breton proposait ainsi le retour d'une figure de l'imaginaire social: Mélusine, comme alternative aux maux de nos sociétés dans l'épiphanie de la femme-enfant. "La femme-enfant. C'est son avènement à tout l'empire sensible que systématiquement l'art doit préparer... la figure de la femme-enfant désigne autour d'elle les systèmes les mieux organisés parce que rien n'a pu faire qu'elle y soit assujettie ou comprise...". On les voit bien, ces sociétés situées du côté de la Terre-Mère-Nature et des rythmes fondateurs, Mélusine étant à la fois la Grand Mère (la Mé' Lusine) et l'infatigable bâtisseuse aux constructions marquées par l'inachèvement. "Ce qui s'exprime dans ce sensualisme local", comme le souligne Michel Maffesoli (1998), "c'est l'affirmation d'une solidarité de base, qui unit ceux qui habitent un même lieu" (Breton, 1967).

C'est peut-être là que nous devons chercher une alternative à la dérive technicisée de l'imaginaire social qui prendrait son sens, d'abord par sa qualité intrinsèque et aussi parce son insertion dans un tissu vivant est en rapport avec des savoirs groupaux ou sociaux.

Alternatives

Reconnaître les imaginaires à l'œuvre, c'est nous donner une base de travail commune, partager les savoirs qui libèrent des « paroles gellées » dont nous entretenait déjà maître François Rabelais voici cinq siècles.

Jean Duvignaud parlait ainsi d'autogestion de l'imaginaire et mettait l'accent sur le politique quand il le définissait comme "action collective dont l'expression se révèle à elle-même et aux autres par des manifestations diverses: invention de relations inédites, organisations de décisions communes" (Duvignaud, 1976). Il accordait un grand poids à la tradition dans l'invention sociale, comme instrument de dynamisme, pour aller au devant d'actions nouvelles et de connaissances reconnues parce qu'inconnues en les fondant sur des soubassements psychiques et biologiques: "E, au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau" (Baudelaire, reprint 1999).


[1] Durand Gilbert, L'Imagination Symbolique, Paris, PUF, 1968.

(2) Maffesoli Michel, Le Temps de tribus, le déclin de l'individuialisme dans les sociétés de masse,Méridiens Klincksieck, 1988.

[3] Brohm J-M. in Pretentaine, Université Montpellier III, Mai 1996, p.16.

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